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Perceptions et mémoire      1991-94

L'instant photographique, véritable coupe dans un flux, ne peut prétendre totaliser l'ensemble des sensations liées à l'exploration d'un même visible. Le regard porté sur un lieu est forcément multiple, évolutif voire contradictoire. De fait, pour exister, l'instant est à relier à d'autres instants qui agissent et réagissent les uns par rapport aux autres.
Ce caractère spéculatif et cumulatif de la perception vient accompagner mon parcours photographique. Pour observer une forêt ou une statue, j'évite la ligne droite et économe de l'instant unique. Je laisse mon regard s'effriter en perceptions successives. Je regarde en clignant des yeux, renverse les ouvertures en une multitude d'intersections. La stabilité des sens et des états se dissout dans la mobilité qui m'occupe et m'absorbe. J’entre dans la conversation de la lumière.
En me tenant parmi l'agglomération touffue et énigmatique des branches, en traînant dans le proche voisinage de la statue, je favorise et mêle les entrelacs et les rencontres que l'acte photographique fait exister. C'est ainsi que l'image croît et prend consistance, dans une juxtaposition et un chevauchement d'impressions, accordées et orchestrées dans un mouvement d'ensemble. Ces variations ne sont pas visibles, elles se produisent, elles ont lieu puis elles sont dans la photographie. Cette dernière devient un parcours inséparable de l'acte qui la fait naître.
Cette perception qui dure est une image qui change. Chaque photographie passe d'abord par des interrogations figuratives, pour tendre ensuite vers un étirement de la réalité au-delà du visible et accéder à la simple matérialité de la lumière. Le référent est ainsi confronté à son double absorbé par le sujet et le médium. Le réel découvre ses limites, ses contradictions, son absence.
En prenant le parti de la dispersion et de la flexibilité des formes, l'acte photographique s'allège des contraintes du réel et institue progressivement son ordre propre de visibilité. La matière qui résulte de ces variations perceptives devient la mémoire du lieu.
L'ensemble de ces images perçues s'ordonne dans un dispositif. Mais ce processus a lieu à la prise de vue. Le montage s'intègre donc à l'acte. Le procédé photographique crée son propre dépassement, à savoir que la fixité se matérialise dans la somme des instants retenus et réunis dans un mouvement d'ensemble. Ces perceptions multiples d'un même lieu introduisent une pluralité d'espaces et par là-même une représentation de la durée. Le temps se matérialise comme espace mais se présente non comme une série mais comme une étendue.
La photographie se révèle donc être plus un parcours qu'un instant, davantage un processus qu'un résultat. Elle ne consiste plus à regarder un paysage en «l’instantanéïsant», mais à le déterminer en l'organisant dans un mouvement de renvoi du sens au non-sens, du dehors au dedans, de l'illusion à la conscience. L'expérience photographique fait ainsi se rejoindre les perceptions et la mémoire d'un lieu au cœur de l'acte de voir.
Moïse Sadoun, mars 1992

 

 


Expositions
2000      Site Gallery, Winnipeg, Canada
1999      Centre Culturel Franco-Manitobain, Winnipeg  
1997      L'Embarcadère, Lyon
              Alliances Françaises de Toronto, Calgary et Vancouver
1993      University of New Orleans, Nouvelle-Orléans
              Windy Morehead Gallery, Nouvelle-Orléans
1992      Ambassade de France, New York
1992      University Art Museum, Lafayette, Louisiana
1990      Centre National de la Photographie, Paris

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